Arlequin aime Silvia, Silvia aime Arlequin et ils se sont fait la promesse de s’aimer toujours. Mais le Prince, fou amoureux de Silvia l’enlève et tente de la séduire.
Le Prince n’est pas un personnage tyrannique, il veut changer les sentiments de Silvia avec douceur. Il est séduit par son innocence, sa franchise, ce n’est pas une dame de la cour. Quant à Silvia elle aime Arlequin, se sent proche de lui puisqu’ils sont tous les deux issus du même milieu social.
Marivaux met en scène un semblant d’amour figé, condamné, en apparence, à être subi, l’amour prisonnier d’un milieu social où la mixité n’existe pas.
Mais où se cache l’amour ? Telle est l’éternelle question à laquelle Marivaux tente de répondre.
Le dramaturge met aussi en lumière les travers d’une époque. La femme n’avait pas le choix d’épouser qui elle voulait, un serviteur n’épousait pas une noble, une femme cultivée ne se mariait pas à un paysan…
L’originalité de la pièce se trouve dans le comportement du Prince lui-même.
Certes, le premier acte commence par l’enlèvement de Silvia, mais le Prince n’est pas Néron, il n’impose pas son amour. Il va chercher des moyens pour convaincre Silvia de tomber amoureuse de lui. Peut-on provoquer un sentiment ?
Dans ce texte, Marivaux démontre que le serment est sacré, c’est pourquoi Silvia ne parvient jamais à le prononcer, ce qui ne l’empêche pas d’aimer. Nul besoin de serment pour aimer puisque ce dernier, selon Marivaux, semble être inconstant et se fait plutôt qu’il ne se dit. L’amour n’est pas éternel.
Cette pensée va à l’encontre des idées qu’on se faisait de l’amour idéal au XVIIe siècle, Marivaux est un auteur du XVIIIe siècle, la manière dont il retourne les relations hommes-femmes est intéressante, l’homme croit détenir le pouvoir, mais c’est en fait la femme qui décide.
Silvia est certes une femme du peuple, une paysanne, mais elle est intelligente et s’exprime bien. Ce n’est pas Charlotte dans Don Juan. Silvia décide de son avenir.
Les milieux sociaux se mélangent par amour : Silvia-Le Prince et Arlequin-Flaminia, ils ne se mélangent pas pour satisfaire un plaisir égoïste. Les personnages sont sincères dans leur sentiment, ce qui est simplement remis en question par Marivaux, c’est la constance de l’amour. Peut-il être éternel ?
C’est une pièce à lire, à relire et à voir pour son ironie, son humour et pour découvrir la pensée d’un auteur en avance sur son temps.
Quelques extraits :
« TRIVELIN : Silvia plaît donc au Prince, et il voudrait lui plaire avant que de l’épouser. L’amour qu’elle a pour vous fait obstacle à celui qu’il tâche de lui donner pour lui.
ALEQUIN : Qu’il fasse donc l’amour ailleurs : car il n’aurait que la femme, moi j’aurais le cœur ; il nous manquerait quelque chose à l’un et à l’autre, et nous serions tous trois mal à notre aise. » Acte I, scène IV
« LISETTE : En vérité, vous me divertissez, vous me faites rire.
ARLEQUIN : Oh ! Pour moi, je m’ennuie de vous faire rire à vos dépens : adieu ; si tout le monde était comme vous, vous trouverez plus tôt un merle blanc qu’un amoureux. » Acte I, scène VI
« SILVIA : Voilà qui va bien, je ne sais point de serments ; vous êtes un garçon d’honneur, j’ai votre amitié, vous avez la mienne, je ne vous la reprendrai pas. À qui est-ce que je la porterais ? N’êtes-vous pas le plus joli garçon qu’il y ait ? Y a-t-il quelque fille qui puisse vous aimer autant que moi ? En bien, n’est-ce pas assez ? Nous en faut-il davantage ? Il n’y a qu’à rester comme nous sommes, il n’y aura pas besoin de serments. » Acte I, scène XII
« LE PRINCE : Eh quoi ! Silvia, vous ne me regardez pas ? Vous devenez triste toutes les fois que je vous aborde ; j’ai toujours le chagrin de penser que je vous suis importun.
SILVIA : Bon, importun ! Je parlais de lui tout à l’heure.
LE PRINCE : Vous parliez de moi ? Et qu’en disiez-vous, belle Silvia ?
SILVIA : Oh ! Je disais bien des choses ; je disais que vous ne saviez pas encore ce que je pensais. »
LE PRINCE : Je sais que vous êtes résolue à me refuser votre cœur, et c’est là savoir ce que vous pensez.
SILVIA : Hom, vous n’êtes pas si savant que vous le croyez, ne vous vantez pas tant. Mais, dites-moi, vous êtes un honnête homme, et je suis sûre que vous me direz la vérité : vous savez comme je suis avec Arlequin ; à présent apprenez que j’ai envie de vous aimer : si je contentais mon envie, ferais-je bien ?
LE PRINCE : Comme on n’est pas le maître de son cœur, si vous aviez envie de m’aimer, vous seriez en droit de vous satisfaire ; voilà mon sentiment. » Acte III scène 9 (Silvia ne sait pas encore qu’elle parle au Prince).
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