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La peau de Chagrin, Honoré de Balzac


 

« L’homme est un bouffon qui danse sur des précipices. » Chapitre I, « Le Talisman »

    Balzac a achevé l’écriture de La Peau de Chagrin entre 1830 et 1831. Le récit commence par la description d’une maison de jeu où un jeune homme a décidé de jouer la dernière pièce de monnaie qu’il lui reste, son dernier « napoléon ». Il semble désespéré et mise tout sur la couleur noire. Il perd. Le jeune homme las, erre le long des quais de la Seine et veut s’y jeter ; plus rien ne le raccroche à la vie. Puis, il arrive par hasard devant la boutique d’un antiquaire, il décide d’y entrer et semble subjugué par la diversité des objets mélangeant toutes les cultures.

Ce jeune homme fatigué de vivre s’appelle Raphaël de Valentin. Son histoire va prendre un chemin inattendu lorsqu’il découvre la « peau de chagrin », une peau d’onagre aux pouvoirs magiques. Cette peau réalise les vœux de celui qui la possède en lui ôtant chaque fois quelques années de vie. Plus la peau rétrécit, moins il reste d'années à vivre.

Que représente le talisman ? Est-ce une allégorie choisie par l’auteur afin d’expliquer que le désir finit par tuer ? Je ne le crois pas, même si Balzac loue la pensée et la maîtrise de soi à travers le personnage du vieillard au chapitre I :

« La pensée est la clé de voûte de tous les trésors, elle procure les joies de l’avare sans en donner les soucis. Aussi ai-je plané sur le monde, où mes plaisirs ont toujours été des jouissances intellectuelles. Mes débauches étaient la contemplation des mers, des peuples, des forêts, des montagnes ! »

Ce même vieillard met en garde Raphaël prenant possession du talisman. Le jeune héros n’en tient pas compte et décide d’accepter le pacte inscrit sur l’objet magique.

Raphaël, est comme Werther, et souffre d’aimer l’impossible, héros romantique, il jouit sans relâche pour oublier sa misère et ne souhaite qu’une chose : que les excès de sa débauche soit la cause de sa mort. Tel fut son premier vœu, celui de réaliser une orgie dans le plus beau lieu de Paris.

Nous avons donc là, un héros tourné vers la mort plutôt que vers la vie, bien qu’il jouisse des plaisirs sans aucune mesure.

Lors de cette soirée avec ses amis, ivre, il fait à nouveau appel aux pouvoirs magiques du talisman afin de devenir riche. Dès le lendemain, il hérite, s’anoblit. Le marquis « de Valentin » est ainsi né.

Cette richesse ne le satisfait pas, car il sait que le talisman peut le tuer, d’ailleurs sa taille a déjà rétréci. Il mène alors une vie d’ascète, ne sort pas, voit très peu de monde afin de ne plus désirer et espérer ainsi vivre plus longtemps.

Il y a quelque chose de tragique dans le personnage de Raphaël, car il ne PEUT plus désirer, il le voudrait bien, son cœur et son corps bouillonnent, mais il ne le peut pas. Il n’est pas comme le vieillard qui a fait le choix de se préserver et d’être une sorte de sage intellectuel. Raphaël subit un sort, son sort…

Dans sa maison, tout a été conçu pour que son valet sache à l’avance ce qu’il faut faire, par exemple, renouveler tel ou tel vêtement, etc. D’une certaine manière, Raphaël n’est plus maître de sa vie ni de son corps. Il ne veut plus émettre le moindre vœu, même le plus anodin, car il sait que cela lui serait fatal. Pensant vivre ainsi plus longtemps, il ne désire plus, mais en conséquence, il ne vit plus, il est comme mort : 

« Comme un voyageur au milieu du désert, il avait un peu d’eau pour la soif et devait mesurer sa vie au nombre des gorgées. »

Puis, vint la rencontre avec Pauline, qu’il avait connue quand elle était encore enfant. Ils tombent amoureux l’un de l’autre. C’est un amour vrai, il semble heureux, mais la peau continue de rétrécir. Il désire Pauline.


Même la science ne peut pas le sauver ! La « peau de chagrin » est indestructible, aucun acide, aucun outil ne peut l’altérer. Balzac écrit du fantastique, les lois naturelles ne gouvernent pas ce monde étrange et diabolique. Il écrit l’histoire d’un personnage pour lequel désirer revient à mourir. Le désir n’est pas perçu comme une volonté de puissance, bien au contraire, dans ce texte, le désir amoindrit la puissance.

Cette vision négative du désir n’est pas à interpréter de façon purement binaire, pour Balzac, il n’y a pas d’un côté le désir qui est mauvais, et le savoir qui serait la voie à suivre. Au contraire ! Balzac critique une certaine forme de désir, celui tourné vers la mort, celui qui s’attache à des choses superficielles, futiles : ambition, argent, luxure.

Ce qui est tragique dans le personnage de Raphaël c’est qu’il réalise ses erreurs, et lorsqu’il désire véritablement, lorsqu’il tombe amoureux de Pauline, il est déjà trop tard, le talisman a pris le pouvoir sur son existence. Si son désir avait été tourné vers la vie dès le départ, peut-être aurait-il trouvé l’énergie de continuer, de faire, de construire.

Mais le monde et ses objets illusionnent la jeunesse qui désire ce qu’elle croit être la seule chose viable et pourtant…

Le message de Balzac est profond et va bien au-delà d’une condamnation du désir. Il condamne l’illusion qui nous berce. Quant au vieillard intellectuel, il tire son épingle du jeu, certes, mais il ne vit pas non plus, il survole avec légèreté sans jamais toucher l’existence. Les deux personnages ne sont pas totalement antagonistes, ils sont juste le résultat de l’influence exercée par la société sur les êtres.

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